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Chronométrie : nouvelles solutions de précision (2ème partie)

Par David Chokron

Recentrer le spiral
Le développement du spiral est par nature nuisible à la chronométrie. Ce ressort enroulé sur lui-même s’ouvre et se ferme en permanence. Ce faisant, son centre de gravité ne cesse de bouger autour de son axe central. Par ce développement non concentrique, il repousse le balancier contre les percements dans lesquels il pivote. Cette friction est variable selon les positions, freine le balancier, pompe de l’énergie. C’est une incontournable plaie qui attaque l’objectif fondamental du balancier : son isochronisme. Et de fait, cette concentricité a occupé la recherche horlogère pendant quelques siècles.
Les courbes terminales du spiral ont été inventées pout lui permettre de battre plus près de son centre de gravité, mais la solution n’est pas encore idéale. Des recherches récentes comme celles de DeBethune, qui a développé une courbe terminale plate, contrairement aux courbes Guillaume qui grimpent au dessus du spiral, représentent une solution étonnamment délaissée. Trois marques ont imaginé de résoudre le problème par addition et soustraction. Audemars Piguet (cal. 2908), H. Moser & Cie (cal. HMC 324.607 ou 343.506) et Laurent Ferrier (cal. FBN 916.01) utilisent deux spiraux quasi identiques.
Moser fait partie de la même entité que Precision Engineering (chez qui se fournit Ferrier), qui fabrique des spiraux et en vend des paires provenant du même lot. Ils sont cuits et estrapadés ensemble. Ces jumeaux, aux propriétés comparables, sont montés tête bêche sur un même balancier. Quand un spiral se dilate avec un déport, l’autre le fait avec un déport similaire dans la direction opposée. Les déhanchements de l’un sont compensés par ceux de l’autre. Résultat, le balancier oscille autour de son axe.
Moser revendique un écart de marche moyen de 4 secondes meilleur que le COSC.

 

moserulysse nardin

echappement apEncadrer le spiral
Le travail sur l’échappement est un fondement de la chronométrie. Pour un surcroit de précision, et de prestige, il a suivi un axe de progrès ou de retravail.
Le progrès prend principalement la forme de la double impulsion et de l’impulsion directe, parfois une combinaison des deux.
Dans l’échappement Audemars Piguet, l’impulsion est donnée directement par un plateau à deux palettes en rubis, pas par l’ancre. La première fait avancer une ancre levier, l’autre fait avancer la roue d’échappement. Au retour de balancier, l’ancre est ramenée à sa position initiale et la roue d’échappement finit son parcours contre elle.
Chez Ulysse Nardin, la transmission de l’information depuis le balancier au rouage passe directement par l’axe du balancier. Cette impulsion est transmise à deux roues d’échappement distinctes, chacune avec un profil de denture unique. Dans les deux cas, il y a moins de points d’impact dans la chaine de transmission information/énergie qu’avec l’ancre suisse, et des ébats bien moins grands, ce qui limite la force des impacts, importante perte d’énergie et source de vibrations.
Par leur principe, ces échappement ressemblent au coaxial inventé par Georges Daniels et acquis par Omega. Mais leur sophistication provient de la limitation des ébats. D’autre part, le retravail consiste à améliorer l’échappement le plus précis de tous, la détente pivotée.
La plupart des chronomètres de marine, instruments dont des hommes ont dépendu pour leur survie en mer, étaient régulés par des échappements à détente. Simples, fiables, ils n’avaient que deux défauts. Ils étaient peu miniaturisables et sautaient en cas de choc. Pas un problème quand le garde temps est posé sur une table et monté sur des cardans. Bien plus ennuyeux au poignet, où la protection contre les chocs ne peut être que limitée.
Le duo Jean-François Mojon-Kari Voutilainen a installé un tel échappement dans le chronomètre UJS 8 d’Urban Jürgensen & Sonner. A ceci près que le balancier est muni d’un plateau de limitation. Il limite les ébats de la détente et l’oblige à coller à la roue d’échappement. La marque annonce que sa marche moyenne est de 40% meilleure à celle d’un échantillon de 300 montres certifiées chronomètre au COSC. Elle a également eu recours aux tests Chronofiable pour éprouver la solidité de sa détente.

 

detente jurgensen
échappement à détente Jurgensen

force constanteNourrir le spiral
A l’époque où les spiraux étaient rudimentaires, magnétisables et sensibles à absolument toutes les influences, certains horlogers avaient imaginé de lui fournir une énergie constante pour que ses oscillations soient le plus possible identiques. Pour ce faire, trois solutions existent.
La première est de lisser l’énergie transmise dans le train de rouage à la source, typiquement avec une fusée qui, comme une cassette de vélo, égalise le couple du ressort moteur. La solution est très 18e siècle et utilisée chez Breguet (cal. 569), A. Lange & Söhne (cal L044.1 ou L072.1) ou Cabestan (cal. EC101).
Le second consiste à interposer un rouage intermédiaire juste avant l'échappement, un tampon énergétique qui dispose toujours de la même force transmise au plus près au balancier. C’est le remontoir d’égalité qu’utilisent F.P. Journe (cal. 1403) ou DeWitt (cal. DW8050).
L’échappement à force constante est autrement plus sophistiqué puisqu’il garantit que c’est dans l’échappement que la régulation de l’énergie est effectuée. Le dernier horloger à avoir opté pour cette solution est Karsten Frässdorf et sa nouvelle marque, Heritage Watch Manufactory. Son échappement à force constante est à deux étages. Celui du haut connecte avec le balancier. Il est relié à celui du bas par un second spiral, qui fait que la roue d’échappement du haut donne toujours la même énergie à la même fréquence à celui du bas, qui engrène avec le rouage. IWC, toujours avec l’aide de Jean-François Mojon, a présenté avec sa Portuguese Sidérale Scafusia un tourbillon à force constante. Les effets bénéfiques d’une énergie de qualité toujours identique sur l’échappement y sont accrus de celui du tourbillon.

Qualités secondaires
Le sujet de la recherche sur les matériaux a déjà été abordé de même que la question de l’augmentation des fréquences. Le travail sur les profils de denture joue également, avec une complexité technique très spéciale. D’autre part, l’hybridation mécanique/magnétique n’a  à ce jour trouvé d’application que dans le système Spring Drive de Seiko. Au demeurant fort intelligent, il a le double défaut rédhibitoire de ni être ni totalement mécanique, ni suisse. Malgré tous les efforts provenant de marques rares, précieuses et couteuses, l’importance de la précision reste secondaire. Mais ceux qui pensent qu’elle est la vertu cardinale d’une montre peuvent se réjouir : cela fait un bon siècle qu’il n’y a pas eu un tel foisonnement de propositions.

 

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