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Les vertus du moyen de gamme


Par Grégoire Baillod

graphique
Evolution des exportations horlogères suisses en 2009 par gamme de prix (prix export et prix public), en comparaison (%) avec 2008

«Le luxe ne sera pas touché par la crise. C’est le moyen de gamme qui va le plus souffrir ». Cette prévision répétée à merci au début de la tornade économique et financière par la majorité des observateurs et acteurs du monde horloger s’est finalement révélée erronée. Contrairement à d’autres crises, cette fois c’est largement le contraire qui s’est produit: le haut de gamme horloger a été l’un des segments les plus durement touché alors que le moyen de gamme a clairement été celui qui a le mieux résisté à la dégringolade des marchés mondiaux, et le seul ayant enregistré une croissance positive au cours de l’année. Ce développement se répercute désormais sur l’offre de plusieurs marques, qui cherchent à promouvoir des montres plus accessibles, en phase avec la nouvelle donne du marché.

Retournement de tendance. La tendance s’est retournée vers la fin du premier trimestre 2009. Alors que depuis des années l’horlogerie suisse effectuait une montée en gamme généralisée et que le haut de gamme horloger était clairement le segment connaissant la plus forte croissance, cette dernière a piqué du nez à partir de février 2009. Jusque-là, le haut de gamme résistait en effet le mieux à la crise, comme le montrent (voir graphique) les statistiques mensuelles d’exportation de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH). Tant en volume qu’en valeur, l’évolution des exportations par rapport au même mois de l’année précédente affiche un recul moindre pour les garde-temps de luxe en janvier et février, alors que les autres segments de prix chutaient de plus de 30%, voire plus de 40%.

Petite parenthèse méthodologique : la FH segmente les prix selon la valeur à l’exportation, soit au prix de gros. Il faut multiplier environ par trois pour obtenir une indication du prix en magasin pour le client final. Ainsi, la FH définit le bas de gamme par des prix d’exportation jusqu’à 200 francs (600 francs au détail), le moyen de gamme de 200 à 500 francs (soit 600 à 1500 francs), la gamme supérieure entre 500 et 3000 francs (1500 à 9000 francs), et le luxe au-delà de 3000 francs (plus de 9000 francs). Cette segmentation ne fait pas forcément l’unanimité, d’aucuns poussant le moyen de gamme jusqu’à 3000 voire 5000 francs au détail. Mais les chiffres de la FH donnent une indication significative sur l’évolution des ventes pour des gammes de prix données.

Le moyen de gamme domine. Les statistiques depuis le début de l’année sont claires : les deux catégories qui ont le plus souffert se situent au-delà de 2000 francs prix publics. Le luxe (9000 francs et plus), après avoir bien commencé l’année, a chuté dès février jusqu’à enregistrer les plus mauvais résultats tous segments confondus en mai, juin et juillet, pour terminer l’été avant dernier, juste devant le bas de gamme. La catégorie de 1500 à 9000 francs a enregistré pour sa part le plus de pertes, avec un recul de 47% en valeur en février. Tendance inverse pour la gamme de prix moyens entre 600 et 1500 francs: après une chute de -33% en février, elle affiche des reculs nettement moins marqués que les autres segments sur toute la durée des statistiques disponibles. Mieux : c’est la seule catégorie ayant enregistré une croissance positive en valeur sur deux mois, mars et juin, d’environ 3%.
En volume la tendance est encore plus marquée: +9,7% en mars, +5,5% en juin. A noter par ailleurs que le moyen de gamme et le luxe affichent des développements exactement opposés: à une augmentation de l’un correspond une chute de l’autre, et inversement. Autre indication notable: la bonne tenue du très haut de gamme (au-delà de 60000 francs), avec des reculs entre -5% et -10% sur l’année.

Ces statistiques sont confirmées par les professionnels sur le terrain. «Les montres qui se vendent le mieux actuellement sont celles en dessous de 3000 francs. Et il y a toujours des amateurs pour les pièces au-delà de 100 000 francs», constate Alexis Gouten, de Gouten Distribution, représentant de nombreuses marques dans différents segments de prix, de Raymond Weil et Frédérique Constant à Harry Winston ou Jean Dunand.

louis erardStratégies gagnantes. Ces développements concordent aussi avec une tendance générale plus «raisonnable» observée aux derniers salons horlogers. Certaines marques l’ont correctement anticipée, quitte à revoir quelque peu leurs velléités de montée en gamme. Ainsi chez Raymond Weil, le CEO Olivier Bernheim explique que depuis 18 mois sa marque a considérablement développé son offre de produits entrée de gamme, entre 800 et 2500 francs.
Chez Maurice Lacroix, le nouveau directeur général Martin Bachmann affirme vouloir ralentir l’ascension de la marque dans le cénacle des manufactures. «Je crois fortement au retour du moyen de gamme», confirme-t-il. La marque, qui voulait abandonner le segment en dessous de 2000 francs, va conserver des modèles d’entrée de gamme à 1000 francs pour satisfaire ce qui est clairement une demande du marché. Ebel également a renforcé son offre d’entrée de gamme et devrait poursuivre dans ce sens avec des produits autour de 2000 francs.

Christian Viros, ancien PDG de TAG Heuer, aujourd’hui président de Technomarine, déclarait récemment dans une interview au site spécialisé Businessmontres.com : «Le marché mondial de l’horlogerie se dirige vers des produits avec le même contenu design que le très haut de gamme, mais positionné à un prix accessible». Ce positionnement correspond exactement à celui choisi par la marque Louis Erard, qui propose des montres mécaniques «inspirées de la Haute Horlogerie à des prix abordables », depuis 2003 déjà. «A l’époque, tout le monde disait que le moyen de gamme n’existait plus et que j’étais fou de me lancer dans le segment entre 600 et 2000 francs», se rappelle Alain Spinedi, CEO de la marque du Noirmont. «Le contexte actuel nous est nettement favorable et valide notre démarche », poursuit-il. Louis Erard a en effet d’ores et déjà enregistré des ventes record cette année. La marque bénéficie du fait qu’elle a dès le départ fait le choix de l’accessibilité. Il est plus difficile de changer de politique après coup pour chercher à s’adapter à la tendance. «Il ne suffit pas de sortir un produit abordable, encore faut-il que le réseau de distribution soit en adéquation avec la gamme de prix», estime Alain Spinedi.
Une question demeure : le retour en grâce du moyen de gamme correspond-il à une mutation profonde? D’aucuns voient cette tendance s’affirmer au moins pour les cinq prochaines années. Les paris sont pris.

Cet article est tiré du WA n°8

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