Le billet horloger
Par Pascal Brandt
Gel économique, marché refroidi, pléthore de stocks pour les marques établies alors que de nouvelles marques naissent avec régularité, client volatile… Les paramètres du business horloger sont aujourd’hui plutôt brouillés et complexes, particulièrement dans ce haut du panier que nombre de sociétés ciblent.
Comment pour une marque - dans le segment dit du « luxe », du « prestige », de la « haute horlogerie » … terminologie à choix - atteindre ce client final que beaucoup se disputent ?
Dans le registre des marques établies notamment, l’option passe pour les uns par le changement de couleur du cadran, du bracelet et/ou des aiguilles, le tout emballé en une édition « strictement limitée »…. Passez muscade, on tente de faire vibrer la corde de l’exclusivité bidon. Quelques marques parient sur ce filon qui, en lieu et place d’un bang, s’apparente à un authentique pétard mouillé. Plus avant dans cette logique, le concept de pièce unique selon le choix du client, « façonnée sur mesure et personnalisée » par internet interposé.
Dans ce cas précis, rien d’unique ni d’exceptionnel de fait : la démarche est similaire à la précédente à la différence près que le chaland nourrit l’illusion que « sa » montre est unique, alors qu’il n’est est rien. On ne réinvente pas la roue : l’un des seuls intérêts de la démarche est de passer quelques minutes devant son écran d’ordinateur en choisissant la couleur des composants extérieurs de la pièce avant de zapper et d’oublier ce fastidieux chemin de croix.
Pour d’autres le principe est identique, accolé par exemple à un quelconque sport, autorisant si possible la démultiplication non pas de la créativité mais des déclinaisons, par changements d’aiguilles interposés et apposition d’un logo sur le cadran. Citons encore au passage cette soudaine passion pour la voile que nourrissent des CEO qui n’ont jamais mis le pied sur un bateau, sans oublier le cas des «testimoniaux », acteurs/-trices, sportifs au top ou sur le déclin, tous censés être autant qu’ils sont des prescripteurs.
Parmi les grands classiques encore, un co-branding plus ou moins élaboré avec une marque automobile, prestigieuse si possible, assorti de tous les dangers que cela présuppose : on se souvient du partenariat noué dans les années 90 avec ce constructeur italien si prestigieux et emblématique qu’il phagocytait la marque horlogère à laquelle il était associé. Ledit constructeur qu’on se refile comme une patate chaude d’ailleurs, et dont le cheval cabré paraît aujourd’hui ne pas faire figure d’étalon commercial, mais bien de canasson sur le cadran de son nouvel asile horloger.
Font toutefois notablement exception Patek Philippe et Breguet, si fortes et au-dessus de la mêlée que la première se passe souverainement de toute schizophrénie communicative alors que la deuxième joue d’une approche historique et culturelle intelligente par ses opérations de mécénat pérenne et surtout de réelle envergure universelle (le Petit Trianon, le Louvre).
Et du côté des marques dites de « niche » ?
Le but demeure, les moyens ne sont évidemment pas les mêmes, la quête du facteur de différenciation est plus tranchée. L’approche révèle dans ce registre quelques éléments spécifiques : une tendance à la communication nettement plus directe avec le client final, par l’intermédiaire de vecteurs et de canaux numériques tels que les communautés d’amateurs/collectionneurs (blogs, forums), le recours à la visibilité sur internet, le marketing viral, les événements mettant en relation directe le producteur avec l’acheteur potentiel.
Les médiums classiques – je te prends une page de publicité à prix cassé, tu me fais un rédactionnel pompeux, répétitif et insipide – font plus rarement partie de la batterie de communication, pour cause de surface financière souvent cacochyme qui impose une approche différente, par le choix également d’une créativité dans la communication parallèle à celle dont ces nouvelles marques de niche se prévalent aussi dans le produit.
Dans les deux cas, tant du côté des marques établies que de celles, récentes la plupart du temps, la quête du client final est caractérisée par le ciblage le plus direct possible de communautés de prescripteurs, de cercles restreints amateurs de voitures, d’un sport X ou Y, etc.
Voilà qui n’est pas évidemment pas sans conséquences sur la diffusion du produit horloger qui, en parallèle au circuit classique (filiale/agent, détaillant), tente d’emprunter désormais des sentiers encombrés d’un minimum d’intermédiaires pour grappiller quelques ventes au client final les plus directes possibles.
La paire communication/distribution laisse aujourd’hui apparaître des canaux et relais de plus en plus courts, une tendance qui va vraisemblablement se renforcer dans l’avenir compte tenu du nombre de marques existantes et à venir.
Chemins, options et messages sont là aussi brouillés et confus. Seule certitude : ils partent aujourd’hui tous azimuts. Et les quelques exemples susmentionnés tendraient à suggérer que la marque, parmi les horlogers établis plus particulièrement, avoue indirectement son besoin de recourir à une béquille permettant de compenser sa faiblesse et celle de ses produits.
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