Le billet horloger
Par Pascal Brandt
Ventes en augmentation de 2% à 5.418 millions d’Euros, bénéfice net en recul de 31 % à 1075 millions d’Euros, résultat d'exploitation situé à 982 millions d'Euros, en baisse de 12% par rapport à 2007/08.
Les chiffres publiés ce jeudi 14 mai par le groupe Richemont pour l’année fiscale 2008-2009 traduisent le recul que connaît le secteur dit du « luxe » depuis la fin de l’été dernier, rien dès lors d’inattendu ni de surprenant à cela si ce n’est pour une armée d’analystes financiers qui seront contraints de revoir une nouvelle fois les prévisions abstraites lancées depuis la fin 2008 !
Plus en détail et par catégories, hors les pôles « instruments d’écriture » et « cuir & accessoires » qui affichent un recul sensible, les « maisons » joaillières (Cartier & Van Cleef & Arpels) enregistrent une progression des ventes de 4% (2762 millions d’Euros), croissance identique pour les « horlogers spécialisés » parmi lesquels le communiqué met en évidence IWC, Vacheron Constantin et Jaeger-LeCoultre pour qui les « ventes ont été particulièrement fortes ». (1437 millions d’Euros toutes marques confondues).
Quelques remarques et nuances à ce stade. On peut d’abord en déduire que les autres compagnies (Officine Panerai, Piaget, Lange & Söhne, Baume & Mercier, etc) affichent des résultats plutôt mitigés, ce qui n’est pas nécessairement une surprise absolue pour le milieu horloger. On peut ensuite remarquer que les stratégies commerciales en vigueur favorisent usuellement la vente aux filiales (marge accrue) tout en bourrant en aval les canaux de distribution (le réseau) aux forceps. Autant dire que les pincettes sont nécessaires lors de la lecture de ce type d’information.
Le sell-in et ses résultats chiffrés est une chose, la montre qui sort du magasin dans le petit sac de papier doré au bras de l’acheteur final (sell-out) en est une autre. En d’autres termes, les performances mentionnées pour certains peuvent potentiellement traduire un surstockage conséquent des canaux de distribution. Il suffit d’ailleurs de se promener sur internet pour identifier rapidement les marques fortement discountées et massivement présentes sur la Toile, et dont Richemont n’a d’ailleurs pas l’exclusivité.
Le constat nous ramène aux propos tenus par le CEO de Richemont Norbert Platt en janvier dernier dans les colonnes de La Tribune (France) : « Ma priorité est de ralentir la production ! Les stocks sont la pire chose qui puisse arriver dans cette industrie. Personne ne sait à quoi ressemblera l'année qui vient, d'autant plus que les taux de change varient en permanence. Il ne faut donc pas produire ce qui ne peut pas être vendu. Nous avons décidé de recourir au chômage partiel chez Cartier (Villars-sur-Glâne en février, 400 personnes à La Chaux-de-Fonds selon l’information transmise fin avril). Une mesure que nous allons peut-être étendre à d'autres maisons ».
Sachant que les stocks - pour nombre de marques - sont très conséquents après des années de gavage, sachant par conséquent que la distribution freine des quatre fers pour absorber les nouveautés tout en diluant les reliquats qui collent aux vitrines (internet, marché parallèle, marché gris), on ne peut en déduire que les paroles de Norbert Platt n’ont peut-être pas fini de déployer leurs effets. Il n’y a pas photo : les volumes de production sont en passe d’être revus drastiquement à la baisse pour un certain nombre de marques avec tout ce que ces mesures peuvent présupposer en aval. D’autant qu’en avril, premier mois de l’exercice fiscal en cours, les ventes ont encore décrû de 19% par rapport à avril 2008. Wait and see…
Et Norbert Platt de poursuivre au fil de la même interview : « Les patrons de chaque maison sont des entrepreneurs indépendants, ce qui crée une saine émulation au sein du groupe. Je leur rappelle aujourd'hui que Richemont n'est pas une banque et je les encourage à gérer leur trésorerie mieux que jamais. Je leur rappelle aussi que nos maisons seront là après nous et que nous devons adopter une gestion de long terme ».
Sur ce point, le gestionnaire qu’est Norbert Platt rappelle notamment qu’en plus d’une production survitaminée, le gonflement exponentiel des effectifs et autres projets de développements immobiliers sont certes bons pour l’image mais qu’au fond, on peut appliquer certaines mesures d’optimisation efficaces et produire sans pour autant que les marques deviennent des usines à gaz.
Que retenir encore du communiqué ? Deux petites choses. La première porte sur les négociations entreprises afin de vendre Montegrappa, société italienne spécialisée dans les instruments d’écriture, un segment largement dominé par Montblanc. Deuxième élément : le départ de Norbert Platt à la fin de l’année après cinq ans passés à la tête du groupe. Autant dire, si ce n’est déjà fait, que les guerres claniques n’ont pas fini de miner les arcanes supérieures du groupe. A voir si son successeur poursuivra sur la voie tracée par Norbert Platt, celle de la « forte discipline instillée à l’ensemble de l’organisation centrale et régionale », selon les termes de Johann Rupert.
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