Le billet horloger
Par Pascal Brandt
Dites groupe horloger, et il vous sera répondu LVMH, Swatch Group, Bulgari, Richemont.
Aux côtés de ces derniers vivent cependant d’autres entités, discrètes mais très actives. Et en passe de devenir potentiellement incontournables tant par leur portefeuille de marques et les segments de marché occupés que par leur statut industriel de fournisseurs de cette denrée hautement recherchée qu’est le mouvement, mécanique en particulier.
On parle peu du groupe Festina, contrôlé par l’entrepreneur espagnol Miguel Rodriguez. Il occupe toutefois aujourd’hui une place centrale dans le paysage horloger helvétique. Si son siège est ancré à Barcelone, le groupe dispose de plusieurs filiales en Europe et envisage de se développer également en Asie. L’entité est évidemment très présente sur sol suisse au travers de ses différentes structures placées sous la direction de Jean-Claude Schwarz, à Bienne.
Comme son nom l’indique, le groupe est emmené par cette marque emblématique et très populaire qu’est Festina, fondée à La Chaux-de-Fonds au début du siècle précédent (1902), et rachetée par Miguel Rodriguez au milieu des années quatre-vingt. En un quart de siècle, la marque a permis de donner progressivement naissance à une structure de poids, qui s’est développée sans tapage. Aujourd’hui, le Festina Group est actif dans le produit terminé via son portefeuille de marques, qui ratissent large dans le segment de marché d’entrée de gamme à l’image de Lotus et Calypso, Festina en sus. En remontant la pyramide, Candino et Jaguar, puis sur le sommet Perrelet et Leroy, deux marques de haute horlogerie. La seconde, qui sera relancée en 2010, est indissociable de l’histoire de la marine royale dès le XVIIIème siècle ainsi que de l’invention du chronomètre de marine.
Mais en marge de son portefeuille de marques et sans parler de celles qui dorment dans les tiroirs, le groupe Festina (plus de 400 personnes en Suisse) focalise clairement l’attention du monde horloger depuis l’automne 2008, date du rachat par Miguel Rodriguez de plusieurs unités industrielles dans la foulée du naufrage du groupe chinois Peace Mark. Le Groupe se profile désormais comme un acteur industriel de premier plan sur la scène horlogère dans ce domaine hautement sensible qu’est le mouvement.
A cette date, le groupe prend le contrôle de Soprod, société bicéphale. A Sion, Soprod développe les mouvements quartz, maîtrise l’usinage, le découpage, l’injection plastique et l’assemblage. Aux Reussilles dans le Jura, Soprod s’active à développer des modules, assemble et procède aux opérations de décoration. Dans la foulée, le groupe Festina met encore la main sur Ineltec à Maîche dans le Jura français (intégrée à Soprod), spécialisée dans l’usinage, le décolletage et le taillage.
Par ces acquisitions, qui s’ajoutent à Astral Technologies à Porrentruy (spiraux) et MHVJ au cœur de la vallée de Joux (échappement et mouvements à complications), le groupe Festina a considérablement renforcé ses positions industrielles et acquis une solide position dans le paysage horloger suisse. Il dispose désormais d’une capacité manufacturière complète, à même de maîtriser l’ensemble du processus de fabrication intégrale des composants du mouvement mécanique, sans oublier le mouvement à quartz.
Ainsi que le commente Jean-Claude Schwarz, « avec les acquisitions que nous avons réalisées à l’automne dernier, nous sommes désormais capables de produire intégralement aussi bien des mouvements quartz que mécaniques. Notre objectif, dans les deux cas de figure, est qualitatif ».
Sous l’angle de l’électronique, Festina a ainsi présenté cette année un mouvement mécatronique innovant, le Twin Motion. Ce mouvement combinant module mécanique et multimoteurs programmables sur mesure permet de très nombreuses combinaisons.
Mais c’est surtout sur le front du mouvement 100% mécanique que les capacités et compétences du groupe retiennent à coup sûr l’attention de nombreuses marques et …. groupes, selon toute probabilité. « Avec notre mouvement automatique A10 gabarisé au format de l’ETA 2892, notre capacité nous permet désormais d’envisager un rythme de production à terme de l’ordre de 200'000 à 300'000 pièces annuellement », alors que pour l’heure, la clientèle externe absorbe déjà 60'000 unités annuellement.
« Soprod propose à l’industrie horlogère suisse une alternative au 2892 de ETA qui, par les quantités produites, sera naturellement considéré comme plus manufacturé », explique Jean-Claude Schwarz. Qui poursuit : « Par chance, ce mouvement n’a pas encore été copié par les Chinois et permettra ainsi aux marques de limiter leur risque d’avoir des clones en provenance d’Extrême-Orient ».
En marge d’une production de volume dans le mouvement mécanique, Soprod s’active en parallèle sur le développement et la production in-house de divers modules à complications, de même que l’unité combière (MHVJ) « met au point et fabrique des mouvements mécaniques de très haut de gamme, à hauteur de quelques milliers de pièces annuellement », précise Jean-Claude Schwarz. « MHVJ approvisionne évidemment toutes nos entités industrielles, mais pas seulement puisque nous servons un certain nombre de manufactures actives dans le segment du luxe ».
A n’en point douter, le Groupe Festina s’est imposé en quelques mois comme une pièce centrale sur l’échiquier dans le domaine du mouvement mécanique, sur fond de perspectives incertaines pour les clients du Swatch Group, c’est-à-dire à tout le moins une part importante de l’horlogerie suisse.
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