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Le billet horloger

Par Pascal Brandt


Chiffres d’affaires déficients et déficit de mémoire

La crise sévère frappant l’industrie ramène instantanément la mémoire horlogère aux débuts des  années septante.

Flashback.

L’électronique japonaise débarque, l’horlogerie suisse se prend une douche glacée, un quelconque avenir professionnel dans la branche était vendu aux jeunes d’alors comme un échec programmé.

En 1970, l’industrie horlogère suisse recensait 89'448 employés pour 1618 maisons, un pic historique. La décrue, à partir de ce moment, va se poursuivre avec régularité jusqu’en 1987, date à laquelle les effectifs horlogers s’élevaient à 29'809 personnes pour 568 maisons d’horlogerie.

A cette date, les effectifs vont progressivement reprendre de la vigueur, en parfait parallélisme avec l’intérêt retrouvé de la clientèle pour la montre mécanique. Fin 2007, les effectifs totalisaient 48'835 personnes pour 627 maisons.

Durant toute cette période, l’industrie retrouve sa confiance, et son attractivité. Les métiers horlogers ne sont plus honnis, les écoles horlogères vont faire le plein de volées successives qui permettront aux marques de faire tourner les ateliers et la production. Ces dernières, pour quelques-unes d’entre elles du moins, brandissent fièrement le lancement de programmes de formation internes en collaboration avec les instituts de formation. Voilà qui fait toujours bonne figure sur le registre de la communication d’entreprise.

Deuxième semestre 2007 : subprime aux Etats-Unis, déprime boursière, ventes en recul pour atteindre un état végétatif, chômage partiel et licenciements, jeunes horlogers en fin de formation qui ne trouvent pas d’emploi, marques (genevoises en particulier) qui mettent actuellement en veilleuse leurs programmes internes de formation et n’engageront pas cette année  d’apprentis de première année.

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illustration d'une publicité de l'école d'horlogerie de Genève tirée des archives du Journal Suisse d'Horlogerie

« L’outil de production est clairement formaté pour des années de croissance. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui», déclarait le 14 avril à L’Agefi Jean-Daniel Pasche, patron de la Fédération horlogère.

La reprise ne ramènera pas d’un coup de baguette magique l’horlogerie sur les rythmes de progression observés ces cinq  dernières années. Est-ce une raison suffisante pour lancer à l’encontre des intéressés, les jeunes désireux d’intégrer la filière horlogère, des signaux plutôt décourageants ?

A l’évidence, c’est faire preuve d’un déficit de mémoire et d’une faculté d’incapacité d’anticipation. Le parallèle avec une histoire vieille de 40 ans est tiré, le spectre des années septante est ressorti du placard. L’horlogerie aime se faire peur et ne redoute pas de brandir des mots forts, parfois disproportionnés en regard de la réalité. Car rien n’est pourtant comparable entre hier et aujourd’hui.

L’horlogerie mécanique contemporaine n’a plus rien à voir avec celle des années septante. Les technologies ont considérablement évolué de même que la typologie du produit, qui s’est fortement  sophistiqué. Il suffit de penser au nombre de tourbillons qui traînent dans le marché pour s’en convaincre, sans même parler des « petites et moyennes complications » qui aujourd’hui sont ce que les montres automatiques étaient aux années septante.

Bref, sans évoquer les marques « écran de fumée » aujourd’hui exsangues qui ont largement exploité la crédulité d’une certaine clientèle avec ce genre d’objets et qui ne disposent d’aucun service après-vente, l’avenir à terme sera fait - pour les marques responsables - de personnels très bien formés,  au fait des subtilités les plus fines et les plus complexes d’un mouvement autre que simple et ne comportant que trois aiguilles.  « Au niveau de la formation, il est impératif de travailler sur le long-terme », rappelle Jean-Daniel Pasche au fil de l’interview précitée.

Cette responsabilité n’a pas de lien immédiat avec la crise et les mesures nécessaires à la pérennité ou la survie de l’entreprise, ni d’ailleurs avec le seul calcul des marges. Il en va plus largement d’un engagement pris avec le client, de même qu’il en va d’un engagement à prendre et à confirmer avec une génération, celle de la  relève. Cette génération que l’on a encouragée à s’orienter vers l’horlogerie durant toutes les dernières années, et à laquelle on dit aujourd’hui de repasser un de ces quatre.

En attendant que, d’ici à moyen-terme, la marche des affaires ait retrouvé un rythme de croisière si soutenu que l’industrie sera la première à gloser sur ses impératifs besoins en personnel hautement qualifié, sur le « trou générationnel » des volées d’horlogers compétents et formés, et sur les indispensables programmes de formation à mettre en œuvre le plus rapidement possible…


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