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Le billet horloger
Minute, précisions!

Par Joël A. Grandjean /TàG Press +41


 

Détaillants et marques, frères ennemis?

Aucune autre branche que l’horlogerie ne pourrait s’accommoder d’une telle relation amour haine entre les marques et ceux qui les distribuent, détaillants, distributeurs ou patrons de boutiques… Et si ces deux mondes réinventaient ensemble leur avenir commun? La passion partagée pourrait-elle y contribuer?

Bientôt, dans le courant du mois de janvier 2013, à l’occasion des salons horlogers, l’univers de la distribution sera appelé à côtoyer celui des marques. Des rencontres sous haute tension parfois, tant les deux mondes censés être partenaires sont prompts à chercher des noises. Tous ont pourtant en commun les yeux rivés sur une météo économique incertaine. Au point qu’on se demande si c’est justement cette incertitude face à l’hypothétique maintien de la bonne santé du secteur qui rend acerbe et qui titille les irritabilités. De part et d’autre, on se taille des costards, on se traite de dictateur, d’usurpateur, d’incompétent, d’ignare ou d’enfant pourri gâté.

Acte 1, au sein des maisons horlogères
Il est de bon ton de comparer les détaillants à des picsous: «On ne peut rien leur demander, ils s’en fichent! Tout ce qui les motive, c’est le fric, pas le produit, ni sa charge historique, ni son indéniable originalité. Inutile de leur proposer un nouvel outil marketing, on va se faire jeter. Décidément, ils font la pluie et le beau temps...»

boutique horlogerieActe 2, dans les boutiques
«Chaque place occupée dans nos vitrines se doit de représenter un pourcentage du chiffre d’affaires. Pour un nouveau modèle, pire, une nouvelle marque, pourquoi accepterions-nous de jouer le jeu et de prendre un risque inutile? Un modèle qui ne bouge pas, comprenez qui ne se vend pas assez vite, c’est une pièce morte, c’est, au prix où nous louons le mètre carré, un manque à gagner voire même une perte sèche. A l’inverse, pourquoi devrions-nous nous passer d’un best-seller?»

Acte 3, retour chez la marque
Qui parle encore de montre? C’est d’un commun! On préfère user de terminologies bien plus élogieuses. On parle de garde-temps, on n’hésite pas à poétiser. Quelle bassesse que d’avoir à l’expliquer, en reprenant sans cesse son bâton de pèlerin pour aller de boutique en boutiques, brandir une carotte et tenter de placer son ‘art’ dans des centimètres carrés qui n’y comprennent rien. La magnificence de la création, l’âme de l’objet devraient suffire et faire taire et les ignorances et les réalités financières. Certes, toute marque procède aussi à quelque élagage, reléguant aux oubliettes une référence qui ne se vend pas. Ouf, elle a au moins ça en commun avec son détaillant!

A l’inverse, quand il s’agit de séduire les boutiques les plus prisées, pour en passer le seuil puis si possible s’y installer à demeure, la marque met la main au porte-monnaie, elle offre ses renforts de communication et déroule ses tapis rouges. Tout en veillant à ce que l’apport soit si alléchant que même le concept store le plus demandé ne vienne pas la ramener en tentant de faire sa loi, qu’il n’envisage pas de régenter son mètre linéaire avec l’impression du pouvoir absolu. Après tout, la marque ne se pose pas la question de savoir si, dans ses acceptations et ses refus, dans ses exhortations ou ses desiderata, ce détaillant sollicité ne tente pas juste d’exprimer sa perception de l’offre et de la demande, lui qui est en prise directe avec le client final…

Acte 4, retour chez les détaillants
Objectif, tout vendre, après tout, c’est aussi le vœu de la marque. Alors on réclame un soutien pragmatique, un effort supplémentaire de communication. Et on peste contre ces enseignes arrogantes qui forcent les commandes, s’étonnant ensuite de voir les portes des magasins se fermer lorsque la marchandise déborde des étals. Sont-elles si insensibles, réfugiées derrière leurs murs administratifs et leurs conditions générales?

Happy end?
Stop à cette stérile guéguerre, l’heure est à la rencontre, au dialogue! La peur de l’autre, fût-il embarqué dans le même combat pour contrecarrer d’éventuelles soubresauts économiques, est mauvaise conseillère. Tandis que le détaillant a peur que les marques ouvrent ses propres boutiques, qu’il s’adresse directement au client via une eboutique sur internet, les marques trouvent moult prétextes pour, dans leurs initiatives expansionnistes, ne pas effrayer leur réseau de distribution. Elles n’hésitent pas l’encenser à tout va, parlant de ce fidèle lien indéfectible qui les unit à ces historiques partenaires.

Pendant ce temps, la nature qui a horreur du vide, invite d’autres sociétés à se créer pour vendre en ligne. Attention aux certitudes. A tout instant, le temps peut se gâter. Ceux qui savent tout, quel que soit le camp, risque le crash. Seule la construction à plusieurs, détaillants et marques assis à la même table, engendrerait de nouvelles structures efficaces, solides. Espoir! S’appliquer à comprendre les difficultés dans chaque camp permettrait de retrouver l’émotion qui parle au cœur du consommateur. Et raviver la flamme de la séduction ultime, celle de l’acheteur. Ne nous trompons pas de passion. Celle pour l’argent n’a rien de comparable avec celle que génère un produit d’exception, particulièrement rassembleur…

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