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Le snobisme du vintage

 

Par Alex Ghotbi

« Vous portez une très belle montre jeune homme ». Je lève les yeux de mon journal pour tourner mon regard vers cette voix qui venait de m’interpeller. De la terrasse du café du vieux village perché au-dessus du Cap Martin où, sous un doux soleil de printemps, je buvais mon expresso matinal, je vis un homme, la soixantaine pimpante et chic, enthousiasmé par l’idée de rencontrer enfin – cela n’est pas coutume – un amateur d’horlogerie ancienne. C’est comme cela que nous lions conversation autour de la Rolex Prince Brancard des années 30 que j’avais au poignet.

« Bonjour Papa ! » entendis-je, quelques minutes plus tard. Je me retourne alors pour voir à qui appartenait cette voix douce et claire, et réalise quelques secondes plus tard que se trouve devant moi la plus parfaite des créatures de Dieu, un savant mélange d’Audrey Hepburn et de Pénélope Cruz. Je crois bien que mon cœur s’est arrêté de battre et que j’ai entendu sonner à l’unisson toutes les répétitions-minute que Vacheron Constantin avait créées !

Six mois plus tard, nous étions mariés.

Cette histoire extraordinaire reflète bien le monde merveilleux et hors du commun des montres anciennes : trouver la perle rare, pouvoir la rattacher à une histoire et ne plus jamais la quitter.

Etre passionné d’horlogerie mécanique à une époque où l’heure est disponible sur quasiment tous les biens électroniques mis à notre disposition, que ce soit nos ordinateurs, téléphones portables ou fours micro-ondes, peut déjà paraître anachronique … Mais de là à préférer le charme suranné d’une montre fabriquée à une époque où l’eau courante était un luxe, nous sombrons ici – me direz-vous - dans la pure provocation …

Deux syllabes peuvent résumer l’attrait du vintage : Sno-bisme !

Je ne parle pas ici du snobisme vainement ostentatoire et faussement averti que l’on rencontre le plus communément, mais de la recherche toute personnelle d’un passionné épris d’authenticité, de confidentialité et d’esthétisme.

Je m’explique. Nous vivons une bien étrange époque où l’aficionado horloger ne sait plus où donner de la tête et du portefeuille. Nous sommes en effet assénés de campagnes de presse nous vantant les mérites de magnifiques garde-temps fabriqués depuis plusieurs siècles (et sans quartz bien entendu !) dans le respect de la plus pure tradition par des vierges suisses à la lueur de la pleine lune jurassienne … et, bien entendu, ce travail « comme autrefois » vous est proposé à un prix qui ferait tourner au vert votre carte American Express Platinum !

toledo

Alors pourquoi, au lieu d’acheter une montre contemporaine fabriquée « comme autrefois », notre ami amateur ne se tournerait-il pas – en toute simplicité - vers une montre « d’autrefois », entièrement fabriquée à la main et en très petites quantités, sublimée par la patine du temps ? Une montre chargée d’une histoire qu’il aura envie de s’approprier et de faire sienne.

Quoi de plus grisant que d’arborer à son poignet un garde-temps vintage, lorsque l’on sait qu’à un dîner en ville personne ne portera la même et que l’on pourra, d’un air détaché, faire savoir à la délicieuse créature assise à côté de soi et qui s’extasie sur l’objet en question, qu’il s’agit d’un chronographe Patek Philippe des années 40 … Vous aurez montré là à la fois votre goût pour les belles choses et votre anti-conformisme ! La grande classe !

patek chronoUn peu plus tard dans la soirée, lorsque vous aurez, au détour d’une conversation avec cette même personne, expliqué que vous êtes collectionneur de vintage et que vous avez vendu une petite partie de votre collection chez Sotheby’s pour financer, à titre de mécène, la reconstruction de la Fenice de Venise, il y a de fortes chances que l’individu l’accompagnant, dont la montre massive et rutilante fait soudainement fausse note, rentre seul chez lui !


Le snobisme du vintage, vous l’aurez compris, ne dénote pas seulement un attrait pour les belles choses en général (et les belles créatures en particulier), mais la démarche secrète et poétique d’un libre-penseur insensible aux affres du marketing et des tendances imposées, qui refuse de faire partie du « système ». Si Sid Vicious était encore parmi nous, la cinquantaine assagie mais non repentie, il serait probablement amateur de vintage.

L’amateur de vintage est en quelque sorte l’ultime rebelle …...
Alors, ne lui dites surtout pas qu’il est snob !

 

 


Septembre 2007

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