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2000-2010 : 10 ans d’augmentations, Les dessous de l’escalade des prix
La rançon du client ou la rançon du succès ?

Par David Chokron

En 10 ans, l’horlogerie a beaucoup changé. Mais de nombreux modèles sont restés identiques ou ont évolué marginalement. Nous avons retrouvé les fiches tarifaires de 2000 et les avons comparées à celles de 2010. Quelle est l’ampleur de la hausse ? Qui s’est montré raisonnable ? Qui abuse ? Et surtout : à quoi est due cette augmentation constante ?

flecheLes déclinistes et les plaintifs disent que le bon temps, c’était avant. Que les tarifs étaient alors raisonnables. Et que tel modèle a encore pris 500 euros la semaine dernière alors que la crise n’est pas encore finie. Que les marques abusent. Car l’amateur veut payer la substance seule. Il veut l’horlogerie et rien d’autre. L’écrin est facultatif, la publicité ne l’influence pas. Il veut du calibre et du design au juste prix. Il se méfie du discours marketing qu’il voit comme un charmeur de serpent, un air hypnotique qui veut le détourner de la vérité vraie. En l’occurrence, que les prix des montres augmentent sans cesse.

Les faits
Sur l’ensemble de notre échantillon (téléchargeable ici), nous constatons une hausse moyenne de 68 % entre 2000 et 2010. C'est-à-dire une moyenne de 5,3 % par an pendant 10 ans. Plus troublant, la hausse est au minimum autour de 35%, soit 3,6 % par an. Et ce de manière systématique, sans justification technique ou modifications de fond.

Des noms !
Les marques raisonnables incluent Breguet, IWC, Vacheron Constantin.
Celles dans la moyenne sont Rolex, Breitling, Jaeger, Audemars Piguet, Omega et Panerai.
Celles qui dépassent la moyenne sont Girard-Perregaux, Lange, Patek Philippe, Tag Heuer et Zenith (la dernière collection, même pas celle des excès de 2003-2008).

patektag

Est-ce l’or ?                                                                                       
Lorsque l’on demande à une marque la raison de l’augmentation des tarifs, elle répond généralement par les coûts. Et en particulier, la hausse du cours de l’or. En effet, entre janvier 2000 et janvier 2010, l’once d’or fin (en euros, pour amortir la chute du dollar) a augmenté de 159%, voire 220% comparée à octobre 2010. Les grands groupes achètent des instruments financiers de couverture afin d’amortir les variations de tarifs. Mais ces instruments ne sauraient supprimer complètement et définitivement les fluctuations de cours. Or nous constatons que les modèles or n’ont pas augmenté plus que les modèles acier. C’est même plutôt le contraire.

rolexEst-ce l’acier ?
Par exemple, une Rolex Air King a augmenté de 61% quand une Day-Date en or gris se contente de 38%. Etrange. L’acier aurait donc augmenté plus que l’or ? Les statistiques des industries métallurgiques françaises indiquent que les alliages d’acier inoxydables ont augmenté de 66 % entre octobre 2010 et janvier 2000. Le compte n’y est pas puisque les matières ne sont qu’une partie des coûts de fabrication, derrière leur usinage, l’assemblage, les coûts de fonctionnement.

Est-ce le prix de la baguette ?
Peut-être alors est-ce la vie qui est devenue plus chère ? Un propos courant dans les cafés de la zone euro, souvent basé sur une analyse fine du prix de la baguette de pain. L’indice des prix à la consommation de l’INSEE, qui inclut inflation et variations de prix des produits courants en France, a augmenté de 18,7% entre 2000 et 2010. L’équivalent de cette statistique en Suisse, arrêtée à 2009, est de +8,3%. Rappelons que ces chiffres incluent les hausses de salaire aux niveaux nationaux. Notre hausse n’est donc pas là non plus, même si le recrutement de la branche horlogère s’est renchéri entre 2004 et 2008.

Voleurs ?!
Alors ce doit être les marques ! Elles se goinfrent, se gavent, abusent et nous tondent la laine sur le dos, à nous, pauvres amateurs d’horlogerie à la passion si pure ! Mais là encore, les statistiques disponibles déçoivent. L’analyse de rentabilité des groupes qui publient leurs résultats montrent que l’horlogerie n’est pas le pays de Cocagne que l’on croit. Le taux de marge brute (résultat d’exploitation divisé par chiffre d’affaires) du Swatch Group est passé de 16,3 à 16,7 % entre 2000 et 2009. Celui de Richemont est stable à 18 %. Celui du pôle joaillerie horlogerie de LVMH est passé de 10 à 8%. Ils ne s’en mettent donc pas plus dans les poches.
2010 prend le chemin d’une année très réussie, elle devrait faire grimper ces taux de rentabilité entre 1 et 3 points, une amélioration qui profite surtout au Swatch Group.

Ya un truc
Mais tout de même, quelque chose ne colle pas. Les volumes de production ont connu eux aussi une évolution importante. Les statistiques des exportations fournies par la FH donnent la tendance. En 2001, les exportations de montre mécaniques représentaient 5,35 Mds Frs. En 2008, au plus haut des volumes, c’était 11,27 Mds, soit une hausse de 110%. 2010 devrait se rapprocher du cap des 10 Mds Frs. C’est donc un quasi doublement.

Non-sens économique
Or avec les volumes de production, les prix d’achat des matières premières baissent. Et les courbes d’apprentissage montrent que le coût de revient unitaire des produits, tant qu’ils restent inchangés, doit baisser aussi. Et ces principes sont parfaitement illustrés par un chiffre étonnant. En l’an 2000, une Porsche Carrera coûtait 72000 € en Allemagne. Aujourd’hui, 85500, soit une hausse de 18%. Or une Porsche, produit de luxe et stable dans son identité, évolue technologiquement très régulièrement. Elle inclut une grosse partie d’acier et d’aluminium. Et des coûts de développement conséquents. 18% contre notre moyenne de 67% ! Et cette hausse n’est expliquée complètement par les matières, l’inflation, les profits reversés aux actionnaires, les salaires ou les conditions fiscales.

Où passe donc tout cet argent ? Eh bien c’est la rançon du succès.

Toutes les hausses que nous avons détaillées interviennent. Mais il en est une qui est masquée par les chiffres. C’est l’amortissement des investissements. Et en particulier celui des nouveautés. Car en parallèle des produits stables, des fonds de catalogue, et source du doublement des volumes de production, les marques ont innové comme jamais entre 2000 et 2010. Les gammes n’ont jamais été si nombreuses. Le nombre de mouvements exclusifs, nouveaux, de manufacture, se rapproche de celui des années 50 où des centaines de marques cohabitaient, dont beaucoup fabriquaient leurs propres calibres. Le renouvellement des parcs de machines, l’investissement dans de nouvelles technologies, l’intégration verticale, le rachat des fournisseurs, les nouveaux locaux agrandis et certifiés bio sans OGM, tout cela coûte bien plus que la simple ligne appelée « dépréciation ». C’est toute l’énergie de l’entreprise. C’est son avenir.

langeL’illustration extrême
Par ailleurs, le prix des nouveautés est amorti aussi sur les classiques, réparti sur l’ensemble des gammes. La preuve de ce mouvement se matérialise dans le cas A. Lange&Söhne. Saxonia, Langematik, Lange 1 (toutes en version grande date) et Datograph ont connu une hausse moyenne de 133 % C’est énorme, mais cela s’explique. En 2000, ces modèles représentaient la moitié de l’offre de la marque, encore relativement jeune. Depuis, elle a sorti près de 30 nouveaux calibres, toujours plus compliqués. Ses ateliers ont triplé de taille et sa portée internationale pas loin.

Le bruit
En parallèle, il est devenu plus difficile d’exister sur un marché qui n’a jamais proposé autant de variété. Les marques sont devenues particulièrement nombreuses. Leurs gammes se sont approfondies, avec un même boitier accueillant plusieurs complications et variantes d’exécution (matières, couleurs, bracelets). Et le bruit ambiant est assourdissant. La professionnalisation de l’horlogerie exige que les positionnements de chacun soient clairement exprimés pour espérer qu’ils soient un tant soit peu perçus. Il faut donc entreprendre des actions publicitaires pour se distinguer du lot. Par le biais de publicité télé, affichage, bannière sur le web, mais aussi d’opérations plus sophistiquées. Sponsoring sportif, parrainage d’évènements (de préférence sportifs ou caritatifs), animations autour de la marque lors de salons grand public, développement d’outils internet de plus en plus sophistiqués, présence internationale indispensable. Bref, les coûts marketing ont mécaniquement suivi les volumes.

Alors que faire ?
La conclusion que l’on peut en tirer est qu’il faut arrêter de crier au vol. Certaines marques vont trop loin, d’autres restent raisonnables. Mais quasiment toutes ont grandi dans leurs habits de l’an 2000, et pas qu’en taille. En maturité, en richesse d’offre et pour bon nombre, en innovation. Elles ont investi dans l’avenir et leurs progrès en même temps que le métier s’est sophistiqué. Notre seconde conclusion est qu’il vaut mieux acheter une nouveauté. Elle est en réalité bien mieux tarifée qu’une référence plus ancienne. C’est contre-intuitif, mais c’est logique : une partie de ses coûts est distribuée sur ces modèles moins récents. En avant, toujours en avant !

Méthodologie
Notre échantillon et son étude n’ont pas la vocation, ni la prétention, d’être représentatifs au sens statistique. Cependant, ils portent sur une bonne partie des marques de montres haut de gamme et de leurs modèles emblématiques. C’est donc une vision panoramique et pertinente du marché. Elle exclut des marques dont les gammes ou le positionnement ont tellement évolué qu’il nous était impossible de les inclure. Typiquement, Hublot et Blancpain en sont absentes.

A chaque fois, nous avons comparé des modèles à l’identique ou parfaitement comparables. Par exemple, un chronographe Pasha de Cartier est passé de 38 à 42 mm. Cet agrandissement change-t-il radicalement l’équilibre économique de sa production ? Nous pensons que non. Quid des modifications cosmétiques ? En 2000, une Patek Philippe Calatrava de base à deux aiguilles en or porte la référence 3919. En 2010, elle est quasi inchangée mais se nomme 5119.

A l’inverse, un chronomètre à résonance de F-P. Journe est passé d’un mouvement en laiton à un mouvement en or. Il n’est donc plus comparable et a été écarté de notre étude. Reste la question la plus épineuse, l’évolution incrémentale. L’exemple parfait est celui de Rolex. Les mouvements ont été mis à jour, le design actualisé. Mais ont-ils été transfigurés ? Non. Ils ont changé naturellement, et restent des références pilier de l’horlogerie.

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